J’ai posé mes dix questions à Richard Folny
Nom : FOLNY
Prénom : Richard
Date de naissance : 18 Avril 1970
Discipline : Nihon Taï Jitsu
Dojo/Club : Ecole Luzienne de Nihon Taï Jitsu
Tes enseignants (d’avant et d’aujourd’hui) : Senseï Roland HERNAEZ, José PEREZ de l’Ecole Mochizuki, Christian HEROUARD du Biarritz Impact.
Ainsi que mes élèves qui sont des enseignants de tous les instants.
Les 10 questions
1 – Pourquoi et quand as-tu débuté les arts martiaux ?
En fait, rien de bien transcendant…
J’ai commencé les Arts Martiaux comme beaucoup de gamins avec la pratique du Judo en 1975 dans un club de Lorraine, à Ay sur Moselle avec un professeur qui s’appelait Mr Antoine.
Mes parents me disaient que j’étais plutôt quelqu’un de « tonique » et qu’il fallait canaliser cette énergie…
En fait ma pratique a réellement débuté en 1988 suite à une altercation dans un centre commercial. Cela aurait pu mal tourner, j’ai eu de la chance. Ils étaient 4 ou 5, j’étais seul, j’avais 18 ans et…aucune notion de ce que pouvait être la violence !
J’ai cherché un club de self defense et j’ai donc commencé à apprendre le Nihon Tai Jitsu à la Faculté des Sciences de Metz. D’abord 2 fois par semaine avec les étudiants puis en rajoutant 3 séances par semaine avec le club.
2 – Pourquoi continuer ?
En fait la question ne se pose plus. Cela est devenu une partie de moi. Ma pratique est quotidienne, parfois je pratique deux fois par jour.
Au début j’étais passionné par la méthode, par ses techniques. Aujourd’hui je le suis toujours, mais plus pour les mêmes raisons. Je me rends compte de sa profondeur et de sa richesse.
En fait deux aspects me font continuer. Les techniques sont devenues secondaires. Cela ne veut pas dire quelles n’ont plus d’importance, au contraire, mais je ne les perçois plus du tout de la même façon. Le comment est devenu plus important que le pourquoi, le fond plus que la forme…Peu importe la forme du flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse… !
Le premier aspect est l’aspect culturel. Les Arts Martiaux nous laissent un trésor, un patrimoine, une culture qui puisent leurs racines dans le Japon médiéval. Si cet aspect n’est pas entretenu, vécu, véhiculé, transmis avec du sens, ces racines sont coupées…et une plante sans racine finit par mourir.
C’est ce cadre qui sous-tend ma pratique.
De plus l’aspect culturel est une porte d’entrée pour le Budo. Dans l’ouvrage Budo de Kenji Tokitsu on se rend compte que ce Budo est d’abord composé de gestes de la vie de tous les jours.
Ce Budo est une porte d’entrée pour la défense personnelle.
Sans « surfer » sur les crénaux actuels concernant les méthodes de self defense, il me semble qu’avec ces méthodes on ne peut pas faire de Budo. Par contre avec les Budo, on peut faire de la self defense. Il y a derrière toute cette pratique, celle des Budo, un aspect humain et de développement personnel dont on ne peut faire l’économie.
Ainsi, le deuxième aspect qui me pousse à continuer c’est le chemin qui reste à parcourir pour être maitre de son propre royaume. Au début, je voulais être rapide, puissant et fort, c’est à dire que mon Nihon Tai Jitsu allait « vers » l’extérieur. Un peu le mythe du surhomme, comme dans les légendes…Puis je me suis rendu compte cela était devenu insuffisant. Il faut que mon Nihon Tai Jitsu passe maintenant de l’extérieur vers l’intérieur, puis à nouveau vers l’extérieur mais plus affiné. Et je crois que nous arrivons à la question suivante.
3 – Les orientations de ta pratique ?
Elle se base sur les piliers suivants : Shin Gi Tai Ichi. L’esprit, la technique, et le corps en même temps.
Le corps est quand même l’instrument premier dont nous nous servons en permanence.
Ainsi il doit être utilisé justement et de façon optimale. Pour cela sa structure doit être correcte. J’ai rencontré José Perez du Yoseikan Budo qui m’a donné les fondamentaux, des lignes de travail et qui continue à bien s’occuper de moi.
Lesquelles ? Venez à Saint Jean de Luz, on vous fera travailler.
Il est sûr pour moi que l’interne et l’externe ne peuvent plus être dissociés. J’étais très intrigué par une pratique en décontraction j’ai découvert un travail sur les fascias et les lignes de force entrantes et sortantes dans le corps humain. Ce travail au départ, est assez statique et spécifique. C’est Xavier Duval qui m’a formalisé les bases de cette perception au travers de l’Aunkai. J’avais déjà pu le percevoir avec Léo Tamaki en Stage à Toulouse.
Ce travail corporel se retrouve aussi dans le Makotokai de Senseï Paolo Bolaffio et le Yoseïkan de Maître Mochizuki.
Il est important dans sa pratique de trouver cette pulsation : compression, expansion comme le précise mon ami et frère d’armes Serge Rebois dans sa recherche en Kyusho.
Voilà pour le Tai.
L’esprit…vaste question ! Il y a tellement de bonnes choses écrites à ce sujet ! Allez voir les blogs de Lionel Froidure sur le site En Terre Martiale, vous y trouverez des entretiens d’experts. L’esprit c’est aussi cette ouverture d’esprit dont fait preuve Lionel avec tout ce qu’il propose.
Dans les propos de cet interview, je me contenterai dans ce paragraphe de souligner la gestion de l’incertitude.
En effet l’esprit est entre autre ce qui va guider le corps et la technique.
Pour cela je construis ma pratique à l’aide des principes suivants : tsukuri, kuzushi, kake.
C’est envoyer une information identifiable à l’adversaire. Mais celle-ci est décalée dans le temps, ou dans l’espace pour piéger ce dernier selon les termes de Senseï Hiroo Mochizuki.
Ensuite j’effectue ma technique. J’ai donc pris l’initiative…Sen no sen.
Mais lisez « Judo, école de vie » de Jean Lucien Jazarin. En discutant avec Maître Hernaez qui l’a bien connu, le Nihon Tai jitsu est vraiment teinté des ces « couleurs ».
Enfin, la technique est un moyen et non un but pour saisir le Shin et le Tai.
Avec l’âge le corps deviens moins fort, normalement… Alors il faut être encore plus « pointu » pour rester efficace, enlever tous les gestes parasites qui prennent du temps, aller à l’essentiel ! D’où l’intérêt de comment pratiquer.
Je pratique également le Kick Boxing au Biarritz Impact à…Biarritz avec Christian Herouard. Il me semble nécessaire de pratiquer à différents distances, à différentes vitesses. Il est nécessaire aussi de « ramasser » en tant qu’enseignant, cela rend humble et remet bien les choses à leur place ! On mesure ainsi ce que nos élèves reçoivent. Un apprentissage permanent.
4 – Comment s’entraîner ?
En pleine conscience !
L’entraînement est juste la première phase de la pratique.
Il faut prendre le temps, être patient. Faire des progrès cela prend du temps, cela coûte de l’énergie, et c’est…difficile ! Commencer lentement, s’écouter.
Ensuite mettre en application, faire varier les paramètres : stress, nombre d’adversaires, mettre des contraintes sur l’espace, le temps…
Accepter le fait qu’en randori les techniques sont « moins propres » que lors d’exercices « scénarisés », et que parfois, voire souvent…ça ne passe pas comme on le souhaiterait !
Donc il faut s’adapter pour se libérer de sa technique. Paradoxal hein ?
Et puis doser tout ça, laisser l’alchimie se faire. Il ne faut pas craindre de s’arrêter, mais de reculer. La pratique de toute une vie !
Il faut aussi confronter ses points de vue à d’autres, conserver des moments d’échanges, en stage, sortir de sa zone de confort. La réception d’informations nouvelles permet une réorganisation de ses connaissances. A tester, à comprendre, à assimiler, à pratiquer. Et hop, c’est reparti pour un tour !
5 – Comment enseigner ?
Je me permets de rectifier la question : comment enseignes-tu ? Je ne détiens pas la vérité ! Aussi je propose un point de vue.
En pleine conscience aussi.
C’est pourquoi la méthode d’apprentissage du Nihon Tai Jitsu n’est pas la même que la Méthode du Nihon Tai Jitsu elle-même.
Mes élèves reçoivent tous les principes que je viens d’énumérer.
Il est difficile pour moi de trier, classer et hiérarchiser ce que je leur donne.
Effectivement il faut qu’ils puissent repartir avec du grain à moudre.
Mais, comme moi aussi je suis élève, je suis encore en phase d’apprentissage, il me faut « digérer », m’approprier ce que je reçois pour le transmettre correctement.
Maintenant je sais où je veux aller, comment et par quel chemin, alors dans ma recherche c’est moins difficile. Ca part moins dans « tous les sens… ».
J’espère ainsi donner à mes élèves ce dont ils ont besoin eux, pour eux.
Par contre quand je suis en stage je donne plus, des pistes, des sensations…
Je mets les élèves de plus en plus en situation.
En effet Kihon signifie technique fondamentale. Ce Kihon n’est pas utilisable en combat ou en self tel quel. Il est nécessaire de l’aménager et de l’appliquer, et ce dans différentes situations.
Je me suis rendu compte que « j’enseignais comme j’avais compris » mais que les élèves ne comprenaient pas forcément comme moi.
Néanmoins il est des points de repère que l’on ne peut louper.
A chacun d’imbriquer ses connaissances par un travail approfondi.
Finalement la pratique des Arts Martiaux et son enseignement est essentiellement…pratique !
6 – L’évolution des arts martiaux ?
Les élèves des Grands Maîtres du Budo ne sont presque tous plus de ce monde. Beaucoup de disciplines se retrouvent avec un manque qu’il faudra absolument combler. Alors on se cache derrière une sacro-sainte tradition qu’il ne faut surtout pas toucher. Je pense que s’intéresser aux racines d’un arbre c’est bien. N’oublions pas que la sève passe par le tronc vers les branches pour donner CHAQUE année des feuilles, des fleurs et des fruits NOUVEAUX. Pourtant les racines elles, sont toujours là ! Il n’est pas possible de vivre dans un musée. Cette Tradition doit servir d’humus pour une continuité vivace. L’efficacité d’une Ecole se traduit aussi par le fait qu’elle s’adapte à l’époque dans laquelle elle vit, sans pour cela changer ses principes, ni refuser son histoire, ni les noms des Pères Fondateurs.
En tant qu’enseignant cette question est pour moi d’actualité et j’essaie d’y trouver des réponses. Pas simple dans un monde en mouvement permanent avec des mentalités plutôt dirigées vers une consommation de masse, et vers le tout tout de suite.
7 – Un enchaînement technique ?
S’adapter, improviser, dominer.
8 – Une anecdote ?
J’ai rencontré Maître Roland Hernaez il y a 25 ans. Ce que je savais de lui, je l’avais trouvé dans ses livres. Et à Garches, dans le « fief » comme il aimait à le préciser, en montant sur le tatami, il l’a salué à coté de moi, et…je ne l’ai pas reconnu ! et …en plus je me suis dit : cela doit être un stage du troisième âge… Je vous redemande encore humblement pardon Senseï. Je n’étais pas excusable, malgré mon jeune âge !
9 – Un coup de gueule ?
Ce n’est pas un coup de gueule mais juste un constat.
Je ne sais plus quel philosophe a écrit « mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde ! ». Aujourd’hui je suis sidéré par le manque de sens donné à ce que l’on peut dire ou écrire. Par exemple au lieu de dire allocation chômage on dit allocation de retour à l’emploi…
Super, mais derrière ces mots se cache une grande violence sociale, celle de personnes vivant dans un état de pauvreté. Et beaucoup de choses sont à l’avenant, un endormissement des consciences. Comme disent les jeunes aujourd’hui, ça passe « crème »… Comment contester ce qui est dit sur un ton positif ? La réalité est-elle ailleurs ?
Comment élever sa pensée, si nous n’utilisons pas un vocabulaire adapté et chargé de sens pour véhiculer des concepts ?
J’enseigne les Mathématiques, et ce défi est pour moi quotidien.
Des concepts comme Droiture, Engagement, Amitié, Sincérité, Fidélité ont-ils encore du sens ? (tiens des majuscules !!!), au moins un sens ?
Je pense que chez les pratiquants oui, c’est ma lueur d’espoir. On peut encore gagner dans cette obscurité grandissante. A force d’aiguiser notre attention, notre vigilance, il nous est permis de pouvoir relever la tête et de voir cette lueur au bout du tunnel.
10 – Le futur ?
Beaucoup de projets bien sûr, notamment des stages, des cours, des lectures, des rencontres…Nous sommes sans cesse en train de nous projeter (pour un pratiquant d’une école de Ju Jitsu, cela semble assez normal, pardon, elle était facile).
Vivre l’instant présent est si difficile alors le futur, et bien, on verra.
J’espère que mon corps ne me lâchera pas encore tout de suite, qu’il sera…compréhensif !
Un grand merci Richard pour tes réponses.
Merci Nicolas de m’avoir laissé m’exprimer si librement.
Vous pouvez retrouver tous ceux qui ont accepté de répondre à mes dix questions sur la page Les 10 questions
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