Nourrir sa pratique et la faire sienne

Après plus de 15 ans à pratiquer un Karatedo que je qualifierais aujourd’hui de contracté, j’ai ressenti le besoin de le faire évoluer pour correspondre à mes recherches et à mes envies. J’avais 25 ans, j’enseignais de manière assez physique 25 heures par semaine et je ressentais déjà le besoin de prendre soin de mon corps et de moins le traumatiser. Il m’apparut donc nécessaire et même indispensable de modifier ma pratique martiale afin de pouvoir durer.

Certes je pratiquais en complément le Judo et le jujutsu. Mais la plupart du temps ces disciplines ne sont malheureusement plus autant basées sur la souplesse qu’elles le devraient. C’est en continuant à chercher des clés pour mon évolution martiale que j’ai rencontré l’Aïkido. Ma rencontre avec Léo Tamaki et un Aïkido à la fois souple et incisif m’a permis de faire rapidement un lien avec ma pratique. Cela a modifié petit à petit mon utilisation du corps, m’a permis de voir les choses différemment et m’a ouvert de nouvelles possibilités pour faire évolue mon Karatedo dans la direction qui m’inspirait.

De nos jours, beaucoup de karateka se tournent vers le Taichi Chuan à un age avancé car cela leur permet d’ouvrir d’autres portes. Peut-être le ferais-je aussi ? Mais j’ai l’impression que ce qu’ils trouvent dans le Taichi, je l’ai trouvé grâce à l’Aïkido.

Cela fait maintenant dix ans que cette discipline m’influence, des changements opèrent et j’ai déjà ressenti plusieurs paliers concernant mon évolution et celle de ma pratique.

s’ouvrir et découvrir de nouveaux horizons pour nourrir sa pratique

Une cohérence des principes

Pour évoluer dans sa pratique martiale, il est important de développer une approche corporelle et une manière de bouger adaptées à celle-ci. Aujourd’hui, nous avons la chance d’avoir accès à de nombreuses disciplines et beaucoup de pratiquants vont piocher des éléments ici et là. Personnellement, je pense que c’est une très bonne chose. Non pas qu’une discipline ou un style ne se suffise pas à lui-même. Mais aller voir ailleurs nous donne de la matière et ouvre nos horizons, tout en permettant de nourrir nos réflexions pour mieux appréhender ce que l’on fait, et ce que l’on souhaite faire.

Cependant, cela peut aussi avoir ses travers car tout ne se mélange pas. Pour que l’alchimie opère, il faut que le travail se connecte autour de principes communs. Il est donc bon de s’inspirer d’autres courants, mais il faut néanmoins s’assurer que leurs principes soient similaires ou du moins compatibles. A défaut, il faudra apporter quelques modifications afin de faire émerger un lien. Cela n’est pas toujours facile et peut demander du temps, mais s’y atteler vaut vraiment le coup pour développer une façon de pratiquer qui nous correspond pleinement.

Faire des choix

Comme j’aime le dire, je crois que lors d’un affrontement il y a deux types de combattants, celui qui touche en premier et celui qui perd.

Par toucher, j’entends la capacité à prendre un ascendant déterminant sur l’autre.

Que se soit ensuite pour frapper, projeter, ou effectuer un « contrôle » articulaire n’a finalement que peu d’importance. L’essentiel, c’est de dominer l’instant de la rencontre.

Si bien sûr la perfection serait de frapper avec puissance et rapidité. Il est évident qu’il est extrêmement difficile de réaliser les deux simultanément.

D’ailleurs, ces deux domaines utilisent généralement des principes corporels différents.

Pour simplifier, je dirais que la puissance se développe souvent à partir du centre et s’obtient avec un travail circulaire ou ondulatoire. Par exemple, transmettre la force de l’appui au sol jusqu’au poing, par l’intermédiaire de la tension de la jambe, la rotation du bassin, puis l’engagement de l’épaule et l’extension du bras.

De son côté, la rapidité s’obtient plutôt à partir de la périphérie et viendra d’un mouvement plus direct, proche de la ligne droite. Dans le cas d’un coup de poing, c’est alors le poing qui déclenche le mouvement, puis l’ensemble du corps qui s’organise derrière celui-ci.

Pour ne pas se mélanger les pinceaux, il faut donc faire un choix. Par choix je ne veux pas dire qu’il ne faut pas travailler les deux. Mais il me paraît essentiel de savoir si nous souhaitons prioriser la rapidité ou la puissance dans notre pratique.

Sans négliger le reste, depuis quelques années mon choix s’est porté sur un travail de modification corporelle et de ressenti dans le mouvement afin de gagner en rapidité. Cela me permet d’augmenter ma capacité à prendre l’ascendant et à être en position de frapper efficacement le premier. Irimi et atemi en somme.

dominer l’instant de la rencontre

Souplesse, fluidité, adaptabilité

Pour cela ma pratique s’organise autour d’un triptyque : souplesse, fluidité et adaptabilité. Ce sont pour moi des clés pour l’efficacité.

Efficacité dans le combat, mais aussi dans la vie. Car la pratique du budo doit toujours nous amener à voir plus loin et doit nous changer au plus profond de nous-même : notre corps, notre état d’esprit, notre lien avec les autres…

Par souplesse, j’entends que la réalisation d’une technique ne doit pas faire appel à un surplus de force musculaire. Il faut utiliser uniquement ce qui est nécessaire afin que cela soit le moins perceptible possible par le partenaire. Idem d’un point de vue émotionnel où il ne faut pas donner trop d’importance à ce qui n’en a pas, ne pas s’en énerver et savoir laisser couler ce qui peut vraisemblablement nous atteindre.

Par fluidité, j’entends continuité. Pas de pause. Aucun temps mort. Car face à un pratiquant expérimenté, c’est à ce moment-là qu’il pourra prendre l’avantage et nous surpasser. Dans la vie, cette fluidité nous donne aussi la capacité de continuer, d’aller au bout des choses et de ne pas s’arrêter malgré toutes les épreuves et autres contrariétés qui nous sont proposées au fil des jours.

Enfin, l’adaptabilité. Cette capacité à réagir en fonction de l’autre et de la situation qui se crée. Capacité à ressentir ce qui se passe chez lui, pour trouver le bon moment, la bonne trajectoire de frappe, le bon rythme de projection, et être capable d’en changer si besoin.

Cette souplesse, cette fluidité et cette adaptabilité dans mon Karatedo sont finalement proches de awase et musubi qui sont souvent abordés dans l’Aïkido.

Irimi, atemi, awase et musubi, voilà pourquoi l’Aïkido et ses principes nourrissent parfaitement ma pratique aujourd’hui.

L’intention c’est l’évolution

Dans nos pratiques comme dans nos vies quotidiennes, l’intention est la clé de notre évolution. Quel que soit le domaine, la réussite vient de l’intention que l’on met dans nos actions. Je n’ai aucun doute sur le fait que se laisser aller et continuer de telle ou telle façon sans vraiment savoir pourquoi ne mène à rien de bien épanouissant. L’état d’esprit de chacun de nous doit être orienté et clairement défini en fonction de nos attentes. Peu importe nos choix, peu importe les principes que l’on met en avant, il faut en être pleinement conscient, comprendre le pourquoi et savoir le comment. Ensuite, il ne nous reste plus qu’à poursuivre notre engagement avec détermination et une intention clairement placée dans nos actes et nos techniques. Il faut impérativement que l’intention soit clairement placée si l’on veut évoluer, car répéter des erreurs ne fait pas progresser. Pour progresser, nous devons y aller étape par étape. On ne peut pas tout corriger d’un coup. Durant l’entraînement, il faut identifier un point clé à améliorer et mettre toute notre attention et notre intention sur cela pendant un moment. Ainsi, nous évoluons petit à petit.

Le budo est un chemin magnifique, mais ne nous égarons pas. Si l’on veut s’y épanouir et profiter pleinement de la route. Il faut savoir où on veut aller et comment nous souhaitons nous y rendre.

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Cet article a initialement été publié dans Self & Dragon Spécial Aïkido en avril 2022.