
Mifune Kyozo est pour certains le « dieu du judo ». Pour d’autres, il s’agit juste du plus grand technicien que la discipline ait connu. Enfin, pour les derniers, Mifune est simplement le plus grand judoka de tous les temps.
Vous l’aurez compris, parler de judo avec des connaisseurs sans parler de Mifune Kyozo, c’est presque impossible.
Autre chose qui paraissait impossible, c’était de faire tomber Mifune.
Tant de choses qui font que, bien que j’ai déjà brièvement parlé de lui, cela fait longtemps que je prévoyais de lui consacrer un article.
Mifune Kyozo est né au Japon en 1883. C’est à l’adolescence qu’il débutera le Judo. A vingts ans, il entre au Kodokan (l’école de Kano Jigoro, fondateur du judo). En moins de dix ans, il sera déjà sixième dan et instructeur. Puis en 1945, à seulement 62 ans, il deviendra le quatrième dixième dan de l’histoire du judo. Il décédera vingt ans plus tard.
Personnage emblématique du Japon, un musée lui est même consacré
Il eut également un timbre commémoratif à son effigie pour les championnats du monde de 1956.
En 1964, le gouvernement Japonais lui a même attribué l’honneur de l’Ordre du Soleil levant. Il fut la première personne à être honorée de cette manière pendant sa vie.
Connu pour ses kuki nage, projections aériennes, proches de kokyu nage en aïkido. C’est avant tout sa souplesse, sa fluidité, et sa capacité de mouvement qui lui permettaient de ne pas tomber, tout en faisant chuter ses adversaires. C’est ainsi qu’après toutes ces années , il resta invaincu aux tournois du Kodokan. Il délivra également quelques combats célèbres, comme lorsque avec ses 40 ans, ses 48 kg, et ses 1m58, il releva le défi d’un sumo plus jeune, plus grand (plus d’1m80) et beaucoup plus lourd (près de 110 kg) qu’il terrassa grâce à sa technique.
Sur la vidéo qui suit, nous le voyons s’opposer à plusieurs hauts gradés, plus jeunes, souvent plus grands et plus costauds que lui, mais aucun ne le fait tomber. Alors bien sûr c’est une vidéo, et peut-être que les adversaires jouent le jeu pour participer à sa légende. Néanmoins, plus que le fait que ce soit lui qui « gagne », ce qui me plait et m’impressionne, c’est son mouvement, sa légèreté, sa capacité à s’envoler et à retomber sur ses pieds, anéantissant ainsi toutes tentatives de ses opposants.
Voilà, maintenant que l’on connait mieux le personnage, parlons un peu de son judo.
Son judo est présenté dans son livre « Canon of Judo », que vous pouvez feuilleter ici.
(je suis bien conscient du principe des droits d’auteur, mais cet ouvrage étant ancien et difficile d’accès, je me permets tout de même de vous mettre le lien).
Le judo de Mifune est basé sur:
5 points
1 – Le doux contrôle le dur
2 – Frapper pour tuer
3 – Ne jamais retenir
4 – Entrer dans un état sans ego, sans esprit
5 – Ne pas se concentrer sur la recherche d’une technique « secrète ».
Polissez votre esprit par un entraînement sans fin ; c’est la clé des techniques efficaces
et 7 règles de pratique
1 – Ne sous-estimez pas un adversaire
2 – Ne perdez pas confiance en vous
3 – Maintenez une bonne posture
4 – Développez la vitesse
5 – Projetez la puissance dans toutes les directions
6 – Ne jamais cesser l’entraînement
7 – Développez votre contrôle de soi
Comme on le déduit facilement de ces « points et règles », son judo était bien loin du « judo sportif » que l’on connait aujourd’hui. Il s’agissait plus de ce que certains appellent jujutsu. De mon côté, j’aime à rappeler qu’à l’origine, c’était cela le judo/jujutsu. C’était un tout. A la fois une méthode pédagogique d’éducation physique et sportive développée par Kano Jigoro (le judo) ET un art martial redoutable (le jujutsu) que certains aiment appeler self-défense. L’un n’allait pas sans l’autre.
Dans la vidéo suivante Mifune présente le Itsutsu no Kata. Les sous-titres permettant de bien comprendre les 5 principes mis en avant par ce kata.
Autre kata que Mifune nous présente à le perfection, le Nage Ura no Kata. Je l’avais déjà mis en ligne mais je vais remettre ici cette vidéo tant je pense que c’est un puits d’informations techniques, corporelles, et pédagogiques.
Pour ceux qui aiment la technique, voici deux vidéos présentant de nombreux mouvements effectués debout, puis d’autres au sol.
Enfin, pour ceux qui en veulent toujours plus, n’hésitez pas à visionner cette dernière vidéo très instructive. Elle est un peu longue mais vous y retrouverez plusieurs des extraits précédents. Et si vous êtes pressé, je vous invite à aller directement à 34min30, où Mifune senseï explique le judo avec un ballon, en faisant des similitudes entre une sphère et le judo. Car une sphère ne fait jamais de mouvement inutile. Une sphère ne perd jamais son centre de gravité… Et c’est une chose à méditer je pense, quelle que soit votre discipline.
Très intéressant sachant qu’a l’origine le samouraï pratiquait tous les arts martiaux, armé ou à mains nues. Ici il s’agit du combat au corps à corps. Il en faut pour tous les goûts… Mais comment est-on passé en quelques décennies du « Frapper pour tuer ? » au judo sportif ? C’est l’évolution du jiu-jitsu vers le judo ? 🥋
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Très intéressant aussi parce que bien étayé avec images et vidéos… joli travail de recherche !
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Bonjour Alexis,
C’est un beau sujet. Aller, tu as 4h pour me faire ta dissertation 😉
Je crois qu’on pourrait en parler des heures de l’évolution de la pratique.
Mon avis?
Premièrement, la société a énormément évoluée entre le début du XXe avec les guerres et le début du XXIe avec une période de paix qui est finalement la plus longue que l’on connaît. Du coup, plus besoin d’avoir potentiellement le besoin de défendre sa vie. Plus de réelle nécessité d’être efficace. Juste le besoin de faire un peu de sport, de jouer, de se divertir…
Deuxièmement, les pratiquants sont passés de plusieurs heures d’entraînement par jours, à 2 ou 3 heures par semaine. Et hors vacances scolaires. Ce qui représente en France un tiers de l’année. Donc forcement, le niveau diminue, et on a moins le temps de travailler tous les aspects de la pratique. Surtout ceux qui sont difficiles ou risqués.
De plus, la pratique loisir s’est beaucoup développée. On essaye une année, puis on passe à autre chose. Et même parmi les gens qui pratiquent 5 ou 10 ans, beaucoup sont à des années lumières de la « vraie pratique ». Je le mets entre guillemets car je ne veux pas que cela soit péjoratif, mais je veux dire par là qu’on ne se met pas vraiment en difficulté dans le travaille. On ne peut donc pas découvrir ce qui se cache derrière. D’ailleurs, peu de monde va au dojo pour TRAVAILLER.
Enfin je rajouterais que l’évolution et la palette des pratiques disponibles aujourd’hui, notamment avec l’émergence du krav maga, du jiu jitsu bresilien, du mma, nous laisse souvent entrevoir qu’en passant par certaines disciplines, c’est plus simple, plus rapide, et plus efficace. Et certains, souvent pas les meilleurs, se servent bien de cela pour faire leur business.
Si on enlevait la compétition sportive et ses médailles, les grades et autres reconnaissances, la Fédération Francaise de Judo passerait de 600 000 licenciés à 20 000, et même certainement moins. Je te laisse imaginer le nombre de « hauts gradés en costume » qui devrait se mettre à manger des patates…
Heureusement, il y a toujours des pratiquants, souvent un peu dans leur coin, ou en tout cas bien moins mis en avant que d’autres, qui s’entraînent avec conviction et font de l’excellent boulot. Mais comme on dit, le niveau d’une discipline s’estompe toujours avec son développement.
Voilà mon avis !
Amicalement
Nicolas
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Merci d’avoir pris le temps de me répondre, tu as fait la dissertation Nicolas ! 😉
La popularisation d’une discipline a évidemment ses avantages et inconvénients. Ceci dit quand on voit l’évolution ou la disparition des arts martiaux européens, la popularisation de ceux asiatiques pour l’essentiel me semble une bonne chose.
A bientôt
Alexis
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