J’ai posé mes dix questions à Nicolas Delalondre
Nom : DELALONDRE
Prénom : Nicolas
Date de naissance : 21 mars 1978
Discipline : Takamura ha Shindo Yoshin ryu
Dojo : Tesshinkan
Site Internet : http://surlespasdemars.wordpress.com/
Tes senseï (d’avant et d’aujourd’hui) : Tobin Threadgill, Marco Pinto, Patricia Guerri
Les 10 questions
1 – Pourquoi et quand as-tu débuté les arts martiaux ?
Comme beaucoup j’ai été attiré par les arts martiaux très tôt, certainement influencé par les films des années 90 (et les rediff des années 80). Mais en dehors d’un peu d’escrime occidentale (fleuret) à l’âge de 10 ans, j’ai débuté les arts martiaux asiatiques tardivement en 2000. C’est finalement lorsque j’ai eu le temps après mes études et les moyens financiers de m’assumer que j’ai commencé par l’Aikido. Pourquoi les arts martiaux ? Difficile à dire aujourd’hui, je pense que la scène d’introduction de Nico (Steven Seagal) m’avait marqué plus jeune : le dojo, son ambiance et des techniques où il paraissait être simple de se débarrasser d’un agresseur (rires).
2 – Pourquoi continuer ?
D’abord parce que j’y prends du plaisir.
Mais aussi parce que j’ai encore beaucoup à découvrir et à apprendre. Je pense que j’ai choisi au départ l’Aikido plutôt qu’un autre art pour la présence du sabre et aujourd’hui je continue et approfondis son étude par le kenjutsu dans un koryu.
Mais je continue aussi parce que la découverte et la pratique des koryu m’amènent à explorer une facette historique des traditions, une facette dans laquelle je prends part comme un maillon trans-générationnel.
3 – Les orientations de ta pratique ?
Depuis plus de 5 ans maintenant j’ai mis de côté l’Aikido (en dehors de stages occasionnels) pour mes consacrer à l’école Takamura ha Shindo Yoshin ryu. La rencontre avec Tobin Threadgill (kaicho du TSYR) a été un tournant dans ma pratique, sa finesse corporelle aussi bien au sabre qu’en taijutsu fut comme un révélateur de ce que je cherchais depuis plusieurs années dans ma pratique. Une série d’articles sur aikiweb a été titré « It has to be felt », « cela doit être ressenti », ce sont exactement les termes pour décrire cette expérience.
Passé le temps de l’émerveillement, on enlève la « magie » de l’incompréhension puis on passe à la compréhension de cette mécanique fine et à son partage. Aujourd’hui c’est cela mes orientations de pratique : travail du kuzushi, pas d’emploi de force brute, légèreté du mouvement, Oshite/hikiashi… Et partager les principes de l’école avec les membres du Tesshinkan.
4 – Comment s’entraîner ?
Grande question… Je pense que l’engagement et le plaisir sont deux facettes primordiales dans la pratique.
Pour ma part depuis mes débuts en TSYR, je voyage tous les mois en Europe pour suivre sensei Threadgill lors de stages. Impossible de faire autrement : il n’y avait pas de dojo en France. En plus de ces voyages mon entrainement consistait en de nombreuses répétitions seul, sans partenaire, une fois rentré en France. C’est un engagement important et permanent, nécessaire dans les koryu qui n’ont pas la diffusion large des budo ni le même mode de transmission.
En ouvrant mon dojo privé, le Tesshinkan, je permets à d’autres d’intégrer l’école sans avoir à s’envoler partout en Europe mais en conservant le même engagement.
Mais cet engagement doit être lié à un plaisir de pratiquer et de s’entraîner ensemble. Les groupes d’entrainement restent petits, permettant une prise en compte de chaque individu mais cela ne peut fonctionner, pour le groupe et pour chaque pratiquant, que s’il y a cette joie à pratiquer et à progresser ensemble.
D’un point de vue plus technique, ma base reste le kata (en sens japonais) où uchitachi (uke en Aikido) a un rôle d’enseignement ou de sempai. Il dose la difficulté du kata et guide par sa technique shitachi (shite/tori en aikido) dans le contexte du kata. Avec le temps et la progression, uchitachi augmente la difficulté, réduit les temps ou les opportunités et doit toujours placer shitachi à la limite de sa zone de confort pour le faire progresser. A haut niveau, et considérant le modèle Shu-Ha-Ri, cela ressemble à un exercice semi-libre très intense.
5 – Comment enseigner ?
Dans chaque cours j’essaie de faire progresser le groupe tout en individualisant les apports. Je crois qu’il est important que chacun puisse progresser et de lui laisser le temps de progresser. C’est pourquoi je préfère les petits groupes de travail, chacun y trouve naturellement sa place.
Comme je l’indiquais précédemment, il est primordial dans les koryu de comprendre la façon de transmettre un kata car elle intègre à la fois la part d’apprentissage et la part d’enseignement qui fait progresser l’élève. Les mouvements peuvent paraître bons de l’extérieur mais la mécanique de mouvement fausse en interne, il n’y a que le toucher qui permette alors de ressentir concrètement ce que fait le partenaire. Dans ce contexte, il est vital que l’enseignant prenne régulièrement le rôle d’uchitachi et subisse la technique afin de sentir physiquement l’élève.
6 – L’évolution des arts martiaux ?
Ont-ils jamais cessé d’évoluer ? En regardant de près les koryu on s’aperçoit qu’il y a de nombreux emprunts entre écoles ou d’évolution sur la façon de faire un kata au fil du temps.
Je crois qu’une école qui n’évolue pas, meurt. Toute la question réside dans les limites de cette évolution : satisfait-elle les principes intrinsèques de l’école ? Dénature-t-elle l’école ?
De plus, je ne crois pas que l’évolution doit être une chose recherchée en soi (l’enfer est pavé de bonnes intentions), mais simplement un processus naturel lent.
Après si on parle de la création permanente de synthèses martiales qui réinventent la poudre, là je passe mon tour.
7 – Un enchaînement technique ?
Plus qu’un enchaînement précis, c’est l’intégration du kuzushi (déséquilibre) au sabre auquel je pense. Le kuzushi qu’il soit au Judo ou en Aikido est très perceptible dans les techniques à mains nues (du moins devrait-il être présent), mais l’appliquer au sabre par son placement, par son contact ou l’absence de contact ou encore en créant un kuzushi « mental » qui génère un contretemps chez le partenaire, devient un art qui change la pratique.
8 – Une anecdote ?
Trop bien sûr. Mais je garde toujours un souvenir attendri du dojo Asahi où enseignait Patricia Guerri. C’était un bâtiment de bois mal isolé avec un toit en tôle dans une cour en plein 11e arrondissement de Paris. L’endroit n’était pas chauffé et en hiver le samedi matin était plutôt frais avec une température avoisinant le zéro. Je me souviens arriver 1h avant le cours pour m’entraîner seul et répéter les suburi de ken sur les tatamis gelés alors que mon souffle générait d’amples volutes de vapeur. Nous avions même notre propre cascade d’eau traditionnelle, en fait le bruit d’évacuation des eaux usés du bâtiment voisin (rires).
Aujourd’hui le dojo a été rasé et refait à neuf en une salle de sport avec tout le confort nécessaire.
9 – Un coup de gueule ?
Pas vraiment de coup de gueule, mais un vœu pour que la structuration des arts martiaux au niveau des infrastructures étatiques s’assouplisse.
10 – Le futur ?
Dans un avenir très proche le futur c’est inviter pour la première fois en France, Tobin Threadgill pour un stage ouvert au public de Takamura ha Shindo Yoshin ryu puis de le faire revenir fin juin pour participer à la NAMT organisée par Léo Tamaki. (ce qui a eu lieu récemment)
A plus long terme, c’est poursuivre le développement du Tesshinkan, c’est-à-dire permettre à chaque membre de progresser et au fil des rencontres intégrer des pratiquants partageant une vision similaire des arts martiaux.
Le futur est toujours incertain mais nous devons le regarder de manière optimiste et déterminée. Nos sempaïs et les maîtres de tout art disparaissent au fil du temps ; comme dirait sensei il nous faut apprendre rapidement. C’est aussi ça s’engager dans une tradition, s’assurer d’être un lien pour les générations futures.
Un grand merci Nicolas pour tes réponses.
Vous pouvez retrouver tous ceux qui ont accepté de répondre à mes dix questions sur la page Les 10 questions